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Jean-Baptiste Grange | L’âge d’or

Jean-Baptiste Grange L’âge d’or

Numéro 90

Traces : Alors, comment va cette épaule ?!

 

Jean-Baptiste Grange : Je me suis fait opérer le 30 mars, j’avais le tendon sus-épineux de la coiffe vraiment abîmé et je commençais à avoir une instabilité de l’épaule. Cela m’a gêné tout l’hiver, conséquence de plusieurs chutes tout au long de ma carrière – la première en 2004, une en 2009, la dernière en décembre dernier à Chamonix. Ça s’est gâté par la suite, j’avais de plus en plus de difficultés pour faire les mouvements correctement. Cet hiver, nous avons fait de la gestion à court terme mais pour l’avenir, l’opération était incontournable… avec quarante-cinq jours d’attelle derrière. J’ai attaqué la rééducation tout de suite à Hauteville pendant deux semaines et demie. Je dois rester un peu tranquille pendant trois mois et début juillet, je pourrai reprendre un entraînement quasi normal. Début septembre, je devrais être à nouveau sur les skis…  

 

 

Entre le dos quand tu étais petit, le genou l’hiver dernier*, l’épaule maintenant… Les blessures, ça te connaît !

Oui, je suis habitué ! J’ai même skié avec un corset petit suite à deux hernies discales, et il y a toute une saison où je n’ai pas skié car j’arrivais à peine à marcher. Mais j’avais onze ans, mes parents n’allaient pas me priver de ski. On a toujours un peu adapté les choses en fonction de mon état physique…  

 

Pour une saison où tu reviens de blessure, même si elle a été un peu en dents de scie, tu t’en es plutôt bien sorti !


Oui, c’était une saison particulière car ce n’est pas évident d’être régulier quand on revient du genou. De plus, ma douleur à l’épaule a fait que je me suis mis à compenser un peu avec le dos et que j’avais de plus en plus mal au fur et à mesure que la saison avançait… Cela ne m’a pas posé trop de problèmes en slalom, mais plus en géant et en vitesse.  
 

 

De tes victoires cette année, on retiendra surtout, côté coupe du monde, ton doublé Kitzbühel/Schladming en janvier. Kitzbühel devient un peu ta piste fétiche, non ?


Je pensais que c’était Levi, en Finlande, où j’avais fait 1-3-1 (1er en 2008, 3e en 2009, 1er en 2011, ndlr), et puis là, je fais 1-2-1 ! La première fois que j’ai marqué des points en coupe du monde, c’était à Kitzbühel en 2006 – j’avais fait 10e  –, j’avais aussi pris ma qualif’ pour les Jeux… Outre le fait d’être dans la mecque du ski, j’ai toujours aimé Kitzbühel. C’est un profil de piste qui me convient bien, avec des dévers et des mouvements de terrain. Ce n’est pas une piste où tu peux envoyer tout ce que tu as, mais où il faut être technique, skier juste…  
 

 

Kitzbühel nous a aussi comblés cette année avec la 3e place d’Adrien Théaux en descente. Cela faisait treize ans qu’un Français n’était pas monté sur un podium de la Streif. Comment as-tu vécu sa perf ?


Avec Adri, on a le même âge, on était au lycée ensemble. Comme il est originaire des Pyrénées, il venait passer les week-ends à la maison, quand on était au ski-études à Albertville. On a toujours été dans les mêmes groupes jusqu’en coupe du monde… L’apprentissage en descente est un peu plus long, c’était bien de le voir arriver à ce niveau, faire des podiums, puis gagner en fin de saison. Ça faisait un moment que tout le monde l’attendait et qu’il le méritait…  

Revenons à toi : une 3e place à Wengen, la victoire à Kitzbühel… On imagine que tu arrives à Schladming « en place » et en confiance ?

Oui, j’étais bien, mais Schladming n’est pas la piste que je préfère. J’avais fait une fois deuxième, mais il y a de longues portions de mur et j’avais besoin de progresser à ce niveau-là. J’ai toujours eu de la facilité à aller très vite sur le plat, mais il me manquait un bagage technique sur les parties un peu plus pentues. Il y a eu un gros boulot de fait depuis deux ans sur les parties raides, le matériel, ma technique… Le fait que j’aie gagné à Schladming cette année montre que j’ai franchi un cap. C’était bien pour les Championnats du monde qui arrivaient juste après, car Garmisch a un peu le même profil de pente forte. Aujourd’hui, je pense que je suis capable d’être rapide sur tous les types de terrain… Si je termine 2-1-2 à la coupe du monde de slalom, ce n’est pas sans raison (rires) !  

 

 

A Garmisch, tu étais le grand favori, avec la pression qui devait monter au fur et à mesure que la première semaine avançait et s’achevait sans médaille dans les épreuves de vitesse. Quel était ton état d’esprit à ce moment-là ?


J’avais de très bons repères suite à ces deux dernières victoires et je savais ce que je devais faire, mais il est vrai que l’ambiance commençait à être un peu tendue, ça s’échauffait légèrement sur le plan médiatique, on attendait que la technique arrive car on savait que c’était là qu’il y avait le plus de chances de médailles… Le fait que nous ayons décroché la médaille d’or par équipe au début de la deuxième semaine a vraiment été bénéfique, même si les attentes à mon égard étaient énormes…  

Sans Julien Lizeroux, tu ressentais plus de pression ?

Non, j’avais déjà connu ça avant. Julien avait pris une place importante en 2010, l’année où j’étais blessé, donc je n’avais pas évolué avec lui. Maintenant, plus il y a de monde autour, et mieux c’est !  
Il est vrai que voir l’équipe de France décrocher autant de victoires et de podiums cet hiver, ça fait plaisir !
Oui, ça avait déjà commencé l’hiver dernier, cela faisait des années qu’on n’avait pas connu ça ! Il y avait déjà une bonne dynamique au sein de l’équipe, on sentait que ça allait se mettre en place et qu’on méritait d’être récompensés sur les gros événements. A la finale du géant en 2009, nous étions 7 dans les 25, c’est quand même énorme… A contrario, j’ai connu un peu la période de disette quand je suis arrivé en coupe du monde et que j’étais un peu le premier à marcher à peu près régulièrement. Il y a quatre ans, quand tu faisais un podium en coupe du monde, tu étais le héros national ! Aujourd’hui, si tu fais un seul podium, c’est plus dans la normalité.  

 

Le globe de cristal de slalom qui te passe sous le nez à la fin de la saison, alors que ça se jouait entre Kostelic et toi, c’était une déception relative ?


Oui, je commençais à être fatigué, physiquement et nerveusement. Je pense qu’avec le retour de blessure du genou, les moments de temps forts et temps faibles étaient plus accentués. J’ai quand même enchaîné cinq podiums d’affilée entre janvier et février, ce qui n’est pas rien. A Lenzerheide, les conditions n’étaient pas simples. J’ai fait tout de suite des fautes, je me suis énervé, j’ai commencé à douter… Je m’étais dit « Il faut vraiment que tu ailles taper fort devant », et j’ai un peu moins géré avec la fatigue…  

 

Il n’y a pas de grands rendez-vous l’année prochaine. Quels seront tes objectifs ?

 

C’est vrai qu’il n’y aura pas de Mondiaux, pas de Jeux olympiques, c’est pour cette raison aussi que j’ai choisi ce moment pour me faire opérer de l’épaule. Dans un premier temps, l’objectif sera déjà de revenir en pleine forme sur les skis. En slalom, je sais que ça ira très vite mais il faudra que je remette en place le géant, et j’aimerais bien attaquer les combinés. Je ne pourrai pas trop m’entraîner sur l’automne qui sera assez court pour moi. Je ne compte pas jouer devant dès le départ, je suis maintenant 31e en géant…  

 

Que te manque-t-il pour être vraiment « dedans » dans les épreuves de vitesse ?

 

J’aime vraiment bien la descente mais morphologiquement, je ne pars pas avantagé avec mon 1,80 m et mes 80 kg. Aujourd’hui, si je prends le départ de la Verte des Houches, je n’ai aucune arme pour faire dans les cinquante premiers ! Il y a aussi de la technique à acquérir, il faut y aller étape par étape… Maintenant, si en slalom, géant et combiné, j’atteins un peu mes objectifs et la stabilité aux avant-postes, pourquoi pas ? Je me dis qu’à 30 ans, si j’ai une possibilité de jouer un peu plus sur le classement général, forcément, je passerai beaucoup plus de temps à faire de la vitesse, quitte à laisser un peu le slalom de côté… Quand on regarde Kostelic il y a quatre ans, il n’y arrivait pas en vitesse et aujourd’hui, on voit le résultat. Il est arrivé à maturité cette année mais ça lui a pris du temps ; ça fait un moment qu’il fonctionne sur toutes les disciplines… Mais chaque chose en son temps : pour moi, ce n’est pas encore d’actualité ! (rires).  
 

 

Revenons un peu en arrière : tu avais terminé 2e du Coq d’or en 1997. Quel regard portes-tu sur ces compétitions jeunes ?


Le Coq d’or, c’est un rêve pour tout gamin. Il y a une cérémonie d’ouverture, une cérémonie de clôture, des podiums hyper sympas avec les champions qui te font rêver – à mon époque, c’était Tomba qui signait les autographes –, quelque part, ce sont tes petits Jeux olympiques et c’est marquant dans ta vie d’enfant. Je suis retourné au Coq d’or en 2006 à Megève, puis à L’Alpe d’Huez l’année dernière. Dès que je le peux, j’y vais, parce que c’est important d’être là pour encourager et soutenir tous ces gamins !  

Toi qui es né dans le sérail, que représente le Challenge à Valloire, chez toi ?

Mon père (Jean-Pierre) et mon oncle (Christian, secrétaire général du SNMSF, directeur de l’ESF et maire de Valloire, ndlr) ont gagné le Challenge par équipe en 1982 aux Menuires, donc ça crée une histoire particulière avec cet événement. J’ai toujours baigné dans ce milieu – ma mère était monitrice, ma tante aussi, mon frère, ma sœur, ma cousine… Je suis moniteur moi aussi depuis cette année, il me reste juste à passer l’AFPS (attestation de formation aux premiers secours, ndlr) pour valider mon diplôme. Le fait que mon oncle soit directeur de l’ESF de Valloire depuis trente ans, que mon père ait été moniteur avant, fait que j’ai une relation particulière avec le milieu. J’adore les histoires sur les moniteurs dans les années 60-70 que j’entends depuis que je suis tout petit. On a deux ou trois noms qui ressortent ici, Léo Lacroix a enseigné chez nous au tout début aussi…  

Que t’inspire le soutien de l’ESF auprès de la Fédération française de ski ?

Le Syndicat des moniteurs nous apporte une aide conséquente qui nous permet de nous entraîner dans de bonnes conditions. En retour, je pense que le fait que nous soyons vraiment associés aux moniteurs de ski valorise aussi le métier. Nous sommes un peu la vitrine des ESF, et le fait que les cours de ski soient un reflet du haut niveau doit forcément parler aux gens.  

Des Jeux olympiques en France… Comment accueillerais-tu la nouvelle ?

J’ai connu les championnats du monde à Val d’Isère il y a deux ans, et j’ai vu l’impact que pouvaient avoir de tels événements, la dynamique qu’ils peuvent créer à tous les niveaux. Je pense que les Mondiaux 2009 ont contribué à redonner envie aux gens de s’intéresser au ski. Des Jeux à domicile, c’est encore plus important. Ce sera en 2018, j’aurai 33 ans, il y a de fortes chances que ce soient mes derniers JO… Des Jeux en France, ce serait vraiment exceptionnel !  
* Rupture du ligament croisé du genou droit dans la 1re manche du slalom de Beaver Creek en décembre 2009. Saison blanche… et sans JO.  
Exergues
« Il y a quatre ans, quand tu faisais un podium en coupe du monde, tu étais le héros national ! Aujourd’hui, si tu fais un seul podium, c’est plus dans la normalité. »  
« Mon père et mon oncle ont gagné le Challenge par équipe en 1982. Ça crée une histoire particulière avec cet événement. »    

Jean-Baptiste Grange au fil du temps

• 26 ans, en équipe de France depuis 2004.
• Saison 2010-2011 :
- victoires en slalom à Levi, Kitzbühel, Schladming. 3e à Wengen, Bansko.
- 2e au classement général en slalom.
- champion du monde de slalom (première médaille d'or masculine en ski alpin depuis celle de Michel Vion, en combiné à Schladming en 1982).
• Palmarès : 18 podiums dont 9 victoires (8 en slalom, 1 en super combiné). Globe de cristal de slalom en 2009, deuxième au classement général de la discipline en 2008. Médaille de bronze en slalom aux Championnats du monde 2007.
• Retrouvez son blog sur jbgrange.com.