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Jean-Baptiste Lemoyne | « L’État est là et le restera autant que nécessaire »

Jean-Baptiste Lemoyne « L’État est là et le restera autant que nécessaire »

Numéro 128

Secrétaire d’État chargé du tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne s’exprime sur l’accompagnement du gouvernement pour les professionnels de la montagne cet hiver. Un soutien qui perdurera en 2021 pour les entreprises du secteur, afin d’aider la relance du tourisme en montagne.

 

Quelles sont, selon vous, les perspectives pour le tourisme en montagne cet hiver ?

Je suis à la fois lucide et optimiste. Lucide parce nous savons combien la décision de ne pas permettre les séjours de ski pour les vacances de Noël a pu décevoir les acteurs. Mais elle était indispensable dès lors que nous voulons éviter tout nouveau sursaut de la pandémie qui conduirait à de nouvelles mesures restrictives. Les professionnels sont les premiers à nous le dire : rien ne serait pire que de vouloir rouvrir trop vite et devoir refermer aussitôt. Mais je suis optimiste parce que dès le 15 décembre, le confinement devrait être levé, ce qui permettra le retour des visiteurs dans les stations et la pratique de nouvelles activités, même si les remontées mécaniques resteront fermées. Et puis surtout, après Noël – qui représente 15 à 25 % de l’activité totale de la saison hivernale – viennent janvier, qui est le deuxième meilleur mois de l’année pour les stations, puis février, le cœur de la saison. L’objectif est clair : éviter à tout prix une troisième vague épidémique pour préserver la suite de la saison. Nous avons bien conscience de l’importance du tourisme de montagne hivernal pour l’économie du secteur. La mobilisation du gouvernement et des acteurs de la montagne est totale pour préparer la réouverture lorsque la situation sanitaire le permettra, et pour soutenir ce secteur crucial pour l’économie française et le rayonnement de notre pays à l’international.

 

Que faut-il faire pour rassurer la clientèle dans cette période anxiogène ?

Continuer à faire ce que nous faisons. Les acteurs de la montagne ont fait preuve d’un très grand professionnalisme en élaborant avec le préfet de Savoie un protocole sanitaire prenant en compte l’ensemble du parcours client. C’est un travail remarquable. Des échanges quasi quotidiens ont lieu pour adapter ce protocole en fonction de l’évolution des recommandations sanitaires et afin qu’il soit validé et opérationnel pour être appliqué, à partir du 15 décembre pour les activités ouvertes, et ensuite lors de la réouverture des remontées mécaniques. Cette garantie sanitaire est la clé. C’est elle qui pourra rassurer les clientèles et les professionnels de la montagne. Nous communiquerons sur ce protocole strict et sensibiliserons les touristes en amont de la réouverture. 

 

Quelles aides les professionnels du tourisme, et notamment les moniteurs de ski, peuvent-ils espérer en cas de baisse d’activité ?

L’État est là et le restera autant que nécessaire. Un gros travail interministériel est mené sur le protocole sanitaire mais également l’accompagnement et l’adaptation des réponses économiques de soutien, en lien avec Bercy et le ministère du Travail, afin de compenser les pertes dues à la fermeture imposée des remontées mécaniques. Des concertations très régulières avec l’ensemble des professionnels, au plus haut niveau avec le premier ministre, au sein du comité de filière tourisme et à travers des réunions spécifiques avec les personnalités qualifiées (ANMSM, ANEM, DSF, SNMSF, régions de France…) permettent d’envisager tous les aspects nécessaires au bon déroulement de la saison d’hiver. Ces échanges nous permettent d’adapter précisément les réponses de soutien aux spécificités des territoires de montagne. La situation des moniteurs de ski est régulièrement évoquée, tout comme l’embauche et la protection des nombreux travailleurs saisonniers. Le gouvernement est très vigilant sur ces situations et les réponses qui sont apportées. Les moniteurs de ski, comme tous les indépendants, auront accès au fonds de solidarité. Pour ceux qui sont organisés en syndicat ou groupement de professionnels, une solution sera également trouvée. Le premier ministre s’y est personnellement engagé.

 

Cette crise doit-elle amener les opérateurs touristiques français, dont les stations de ski, à se réinventer ?

Cette crise sans précédent doit forcément nous interroger et inciter l’ensemble des acteurs à se réinventer. Les tendances nouvelles qui se dessinaient avant la crise (numérisation, développement durable, lutte contre le changement climatique, renouvellement des clientèles et de l’offre) s’imposent désormais et accélèrent la nécessaire transition du secteur. Si la crise économique exige des mesures de soutien fortes et immédiates, l’écologie de la montagne s’organise désormais sous l’angle du développement durable : pour la préservation de l’environnement, des ressources et des écosystèmes en montagne, pour une société équitable mais également pour une économie locale plus efficiente pensée sur les quatre saisons. La très bonne fréquentation touristique de la montagne cet été atteste de son attractivité hors saison hivernale et du goût prononcé des clientèles pour la nature, l’air pur et l’ensemble des nombreuses activités de plein air offertes. C’est une évolution majeure, qui perdurera bien après la crise. L’État accompagne les acteurs de la montagne dans ce sens, au travers d’un plan de relance plus global dont le secteur du tourisme bénéficie pleinement. Pour l’heure, nous repensons la stratégie touristique pour l’adapter finement aux besoins des acteurs et à l’évolution de la situation sanitaire. C’est un travail de précision, que nous menons au quotidien, en interministériel. La priorité pour 2021 sera de poursuivre le soutien aux entreprises du secteur, d’activer une relance la plus large possible et de sauvegarder la multiplicité et la richesse des offres touristiques. La crise actuelle met en lumière des initiatives, publiques comme privées, pour favoriser l’émergence d’offres innovantes, que nous soutiendrons.

 

D’une manière générale, les efforts déployés par les stations pour s’inscrire dans un tourisme durable vous semblent-ils convaincants ?

Non seulement ils sont convaincants, mais je crois même que les stations sont à l’avant-garde de ce mouvement qui doit être engagé par toute la société. Les acteurs de la montagne, qu’il s’agisse des élus ou des professionnels, s’engagent pour œuvrer au développement durable de leur économie et préserver leurs richesses. Je peux citer en exemple les 16 éco-engagements pour préserver la montagne présentés en octobre dernier par Domaines skiables de France à l’occasion de son congrès annuel. Ces engagements ambitieux couvrent les secteurs du climat, de l’énergie, de la biodiversité, mais aussi de la gestion des déchets. Le gouvernement soutient ces initiatives et propose une stratégie de développement du tourisme dont seront bénéficiaires toutes les parties prenantes de l’écosystème du tourisme de montagne. C'est un enjeu crucial car le développement durable du tourisme permet à la fois de préserver le tissu économique touristique, tout en favorisant l’émergence d’offres innovantes. Ensemble, nous construisons un nouveau tourisme de montagne, perçu dans sa globalité.

 

Les classes de neige sont un enjeu majeur pour certaines stations. Comment leur avenir se dessine-t-il ?

Je sais l’importance des classes de neige pour l’économie des stations de montagne, j’ai également conscience des régressions dans les départs ces dernières années. Nous échangeons régulièrement avec le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, sur cette question. Plus spécifiquement cet hiver, il est indispensable de faire venir nos jeunes sur les pistes, notamment pour compenser l’absence de la majorité de nos clientèles étrangères. C’est aussi pour nos jeunes une extraordinaire expérience de découverte d’un autre milieu que celui dans lequel ils évoluent au quotidien et une occasion de sensibilisation in situ à la beauté mais aussi à la fragilité de nos montagnes. Je plaide activement en ce sens et souhaite que ce soit une mesure forte du gouvernement. Nous travaillons donc actuellement avec Jean-Michel Blanquer à mettre en place une enveloppe exceptionnelle pour développer les classes de découvertes à partir de 2021. 

 

Cet été, la montagne a été bien visitée par les touristes français. Comment faire pour que cet engouement perdure ?

La fréquentation des massifs a effectivement enregistré de très bons résultats cet été, avec des hausses significatives (+ 3,7 % par rapport à 2019), notamment sur août (+ 8,2 %). Les acteurs du tourisme dans les massifs peuvent être fiers de cet engouement, particulièrement pour les stations de basse et moyenne altitude. Nous avons tous contribué au rebond de cette fréquentation avec des actions de communication portées notamment par Atout France pour promouvoir les destinations de montagne. Ce modèle de co-investissement d’Atout France en partenariat avec d’autres professionnels pour des campagnes de promotion continue de démontrer sa pertinence et son utilité. Il doit perdurer pour professionnaliser les actions et segmenter l’approche marketing. Enfin, je souligne l’importance d’une approche désaisonnalisée dans la promotion des offres auprès des touristes mais aussi des prescripteurs. Au-delà du volet promotionnel, pérenniser cet engouement passera par un développement des offres, une desserte des destinations et l’investissement sur la saison estivale.

 

Quel regard portez-vous sur la plateforme de réservation Mon Séjour en Montagne développée par le SNMSF ?

C’est une démarche inspirante pour toute la filière et d’une efficacité avérée. Nous ne rappellerons jamais assez l’importance de la commercialisation pour faciliter le parcours client et donc la valorisation et l’attractivité de nos offres. La plateforme a su faciliter le parcours client en ligne pour réserver son séjour en montagne, avec un paiement unique sécurisé. Processus qui peut, sans ce type d’outil, s’avérer complexe en station car il implique différents acteurs (hébergeurs, matériel, cours de ski, forfait, transport…). Cela a été rendu possible aussi par une mise à disposition sans frais de l’outil pour une intégration plus aisée par les différents acteurs. Je salue donc cette initiative innovante qui répond aux nouveaux enjeux du numérique et aux attentes exigeantes des clients.

 

Plus généralement, quel regard portez-vous sur l’ESF et ses 17 000 moniteurs ?

L’ESF est le relais d’un savoir-faire français, de la passion du ski et d’autres sports de glisse, transmise année après année par des professionnels engagés, à des générations d’enfants, mais aussi d’adultes. Tous n’ont pas vocation à être des champions, comme nos vallées et stations en ont régulièrement produits, mais tous partagent grâce aux moniteurs et monitrices l’amour de la montagne. Les moniteurs de l’ESF diffusent avec pédagogie leur savoir-faire, leur connaissance du milieu de la montagne, et les bonnes pratiques. Profiter du ski, c’est aussi connaître ses capacités et ses limites, et il y a moins d’accidents pour les pratiquants accompagnés ! Je salue leur engagement de chaque instant, leur volonté de partager leur passion de la montagne et d’inculquer les bons gestes, non seulement dans la pratique du ski mais aussi pour faire découvrir et respecter l’écosystème fragile de la montagne. Ils sont les passeurs d’une culture, d’une discipline et d’un art de vivre qui participent au rayonnement de la France.

 

Êtes-vous skieur vous-même ?

Moi, je suis un Méditerranéen élu de l’Yonne et ministre à Paris… cela ne pousse pas spontanément à la pratique du ski ! Mais à l’époque où mon agenda était un peu plus clément, j’avais régulièrement l’occasion de skier et je dois bien avouer que j’ai un niveau dont je n’ai pas à rougir ! D’ailleurs, peu importent le niveau ou l’âge, le ski a quelque chose de magique dans le sentiment de liberté qu’il procure. Rien ne remplace cette sensation. J’espère de tout cœur que tous ensemble, par nos efforts dans la lutte contre l’épidémie, nous pourrons bientôt de nouveau distribuer ces sensations, aux petits et aux grands, dans nos stations. On y travaille dur.


 Jean-Baptiste Lemoyne 

• 43 ans.

• Diplômé de l’Institut d’études politiques de Strasbourg et de l’ESSEC.

• Secrétaire d’État au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie depuis juillet 2020.

• Sénateur de l’Yonne depuis 2014.

• Conseiller départemental de l’Yonne depuis 2008 (vice-président de 2011 à 2015).

• Conseiller technique chargé des relations avec le Parlement auprès du secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement puis du ministre délégué à l’Intérieur et du ministre délégué au Budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement (2002-2007).

• Secrétaire général délégué du groupe UMP à l’Assemblée nationale (2007-2014).

 

Propos recueillis par Hugo Richermoz

Illustration Anne-Lise Schaeffer

Photo J. Sarago/MEAE