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Jean-Yves Remy | La belle histoire

Jean-Yves Remy La belle histoire

Numéro 113
Des Vosges aux Alpes, l’aventure de Labellemontagne est unique en son genre. Jean-Yves Remy, son PDG, retrace l’histoire du groupe familial et nous livre son analyse sur les grands enjeux du développement touristique en montagne.

 

Labellemontagne fête ses vingt ans de présence dans les Alpes. Pouvez-vous nous rappeler le fondement de cette aventure ?

Notre entreprise familiale trouve son origine dans les Vosges. Pour faire fonctionner l’hôtel des Vallées, mon père, Jean-Marie, a créé avec ses deux frères la station de La Bresse avec beaucoup d’innovations : les premières installations de neige de culture, les premières luges d’été… Je suis arrivé dans l’entreprise en 1989. Cette année-là, l’hiver a été catastrophique. Nous nous sommes sentis un peu à l’étroit dans les Vosges et nous avons cherché une diversification dans des stations plus sécurisées sur le plan climatique. C’est ainsi que nous sommes arrivés dans les Alpes en 1996, avec la reprise de Saint-François-Longchamp. Notre logique était d’être partenaire de la collectivité et exploitant de remontées mécaniques, mais pas seulement : nous voulions intervenir sur l’hébergement, la commercialisation ou encore la promotion. Aujourd’hui, je dirige l’entreprise avec ma cousine, avec un actionnariat à 65 % familial.

 

Comment ont évolué vos aspirations et les orientations du groupe ?

En arrivant dans les Alpes, nous avons réalisé que nous étions capables de proposer aux collectivités une offre packagée pour gérer leurs domaines skiables et nous avons commencé à répondre à des appels d’offres. Voyant que les collectivités étaient intéressées, nous avons structuré notre démarche par la création de l’entité Labellemontagne. Notre offre repose sur trois piliers : le premier est le professionnalisme, en étant de bons exploitants de remontées mécaniques capables d’intégrer des compétences supplémentaires par rapport au budget d’une station de taille moyenne. Le deuxième est d’avoir des capacités financières suffisantes pour assumer la restructuration du domaine et la modernisation des équipements. Le troisième est plus innovant : c’est une valeur ajoutée au niveau du marketing et de la communication en nous appuyant sur la marque fédératrice Labellemontagne, qui ne vient pas concurrencer la marque station mais vient plutôt créer une signature à ses côtés.

 

Quel est le fil conducteur des stations Labellemontagne ?

Les sites que nous avons repris sont plutôt des stations de taille moyenne, qui ont une vraie valeur ajoutée autour des produits famille. Nous avons mis l’accent sur le service aux enfants avec une mascotte commune, des pistes ludiques et un accompagnement dans le séjour. Nous essayons de faire vivre une réelle expérience au client, en le faisant entrer en relation avec le monde de la montagne, sur l’aspect nature mais aussi humain, avec notamment la découverte des métiers de la station. Nous proposons ainsi aux gens un tour en dameuse ou de faire l’ouverture matinale avec les pisteurs. Nous avons également filialisé une agence de voyages qui est une plateforme unique de promotion de nos stations. Nous travaillons surtout avec une clientèle domestique. Les étrangers ne représentent que 8 % de notre chiffre d’affaires.

 

L’innovation fait partie de votre credo. Dans quel(s) domaine(s) en particulier ?

La Bresse est un vrai laboratoire pour nous, puisqu’il s’agit d’une station totalement intégrée. Elle est ouverte de 6 heures à 21h30, grâce aux équipements en ski nocturne, et offre la possibilité de louer ses vêtements de ski. Dans l’ensemble de nos stations, nous essayons de faciliter le séjour de nos clients, en proposant par exemple des packs incluant le forfait des remontées mécaniques, l’hébergement, mais aussi le matériel loué disposé dans les appartements et les courses de la semaine déjà placées dans le frigo.

 

Les derniers hivers ont connu des débuts difficiles au niveau de l’enneigement. Comment voyez-vous cette problématique pour les stations de moyenne altitude ?

Pour lutter contre le manque de neige sur certaines périodes, il faut mettre en œuvre un vrai savoir-faire, avec la compétence des équipes à travailler avec peu de neige. C’est la meilleure réponse que l’on peut apporter aujourd’hui. Nous sommes globalement confiants car, même si la période est difficile, le marché est résilient, c’est-à-dire qu’il se tasse lors des hivers difficiles mais refleurit dès que les conditions reviennent. Et puis, évidemment, il nous faut sécuriser la matière première, la neige, par le développement de nos installations de neige de culture.

 

Comment voyez-vous la montagne et les stations de demain ?

Je pense que le produit majeur, celui qui déclenche le séjour, restera le ski. On ne connaît pas de produit alternatif, même si certains sont complémentaires. Il faut continuer à faire vivre une expérience aux clients, à faciliter leur séjour et à scénariser les domaines skiables avec des pistes ludiques et à thèmes, des zones de repos ou d’animation. La digitalisation est un grand mot mais nos domaines sont assez peu connectés. Il y a donc un vrai travail à faire dans ce sens pour que les skieurs puissent partager leur expérience.

 

Quels sont les défis majeurs pour les stations françaises ?

Il y en a trois. Il nous faut d’abord apporter la preuve de notre capacité à moderniser l’outil de travail. Les appareils créés dans les années 70 doivent être remplacés. Il y a une obsolescence commerciale mais économiquement, c’est tendu car les investissements sont très lourds. Il y a aussi le sujet de la neige de culture, où nous sommes bien en-dessous des standards internationaux. On ne peut supporter la concurrence internationale sans se mettre au même niveau que nos voisins. En Italie et en Autriche, 70 à 80 % des pistes sont équipées d’enneigeurs, alors que la France tourne autour de 30 %… Il y a de vrais enjeux réglementaires, environnementaux et financiers, mais cet équipement est fondamental. Je suis assez confiant car je note, avec satisfaction, une véritable prise de conscience des collectivités locales et régionales. Enfin, il y a l’immobilier. On a connu la période des résidences de tourisme qui ont fait la réputation de nos stations. C’est aujourd’hui un modèle qui s’essouffle et on n’a pas trouvé la solution pour pérenniser les hébergements locatifs. Il va falloir le faire car on risque de se trouver devant un manque d’offre. Il ne faudra pas perdre nos atouts : des stations intégrées, avec une grande qualité de ski et d’équipement. Ce sont des éléments forts, tout comme la notion de « skis aux pieds ». Mais nous devons encore travailler l’hébergement, l’accueil et l’animation, qui sont aujourd’hui les critères que regardent les clients.

 

En tant que président délégué de DSF, vous côtoyez souvent les représentants du SNMSF. Quel regard portez-vous sur notre profession ?

Les moniteurs de l’ESF sont des acteurs majeurs des stations. Le cours de ski fait partie intégrante du produit touristique, c’est un passage incontournable. L’enseignement est fondamental, car le fait d’apprendre vite est un atout pour reconstituer le marché. Les moniteurs sont très implantés localement et participent au travail prospectif concernant la modernisation des équipements.

 

L’ESF développe un service « ESF + » pour permettre à ses clients en ligne d’acheter, en plus de leurs cours de ski, leurs forfaits de remontées mécaniques et, à partir de l’an prochain, leur hébergement. Labellemontagne sera-t-elle partenaire de ce dispositif ?

Je suis très attaché à la notion de facilitation du séjour de la clientèle, et j’ai accueilli ce projet avec intérêt car il rejoint cet état d’esprit qui est la spécificité de Labellemontagne. Jusqu’à présent, il était peut-être un peu compliqué de porter une offre packagée avec les cours de ski. Le fait qu’elle intervienne par les canaux de commercialisation des écoles de ski nous aide. Nous nous inscrivons dans la même logique, l’expérience est donc intéressante.

 

Skiez-vous régulièrement ?

(Rires) Je skie dans toutes mes stations pour mon travail et parfois pour mon loisir. J’adore tous mes domaines skiables mais, à titre privé, je fais surtout du ski de fond, qui est bon pour ma santé !

 

 Labellemontagne en bref 

• 1965 : Jean-Marie Remy crée la station de La Bresse.

• 1989 : Jean-Yves Remy prend la direction de l’entreprise familiale Remy Loisirs.

• 1996 : arrivée dans les Alpes et reprise de Saint-François-Longchamp.

• 2001-2006 : reprises successives d’Orcières-Merlette, Crest-Voland Cohennoz, Notre-Dame-de-Bellecombe, Flumet, Praz-sur-Arly.

• 2003 : création de Labellemontagne.

• 2004 : Déplacement du siège social de la société Labellemontagne Management en Savoie et certification Qualité ISO 9001 de groupe.

• 2009-2011 : reconstruction à neuf de La Bresse.

• 2012 : certification Sécurité du groupe, et reprise des domaines skiables de Manigod et Bardonecchia (Italie).

• 2014 : reprise de Risoul.

• 2015 : ouverture à Manigod du plus grand domaine skiable nocturne des Pays de Savoie.

• 2016 : extension du domaine skiable nocturne de Manigod.

 

Propos recueillis par Hugo Richermoz

Photo Labellemontagne

Illustration Anne-Lise Schaeffer