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Paul-Loup Dinard | Voyage au bout de la ligne

Paul-Loup Dinard Voyage au bout de la ligne

Numéro 90

« Je suis originaire de Fontcouverte-La Toussuire. Ma mère est monitrice de ski, comme toute ma famille (les Bonnel, ndlr). J’ai donc naturellement été au ski-club de La Toussuire, je suis entré au collège à Modane en section ski, puis j’ai intégré le groupe espoir pôle France au lycée. J’ai fait quelques courses  FIS jusqu’à l’âge de 16 ans, année où je me suis blessé et qui a marqué l’arrêt de la compétition pour moi – cela ne correspondait de toute façon plus trop à ce que j’avais envie de faire. J’ai néanmoins mis à profit mon bon niveau de ski pour basser mon BE ski alpin, que j’ai obtenu rapidement : j’ai été diplômé à 21 ans.

 

Après l’arrêt de la compétition, je me suis tout de suite lancé dans la vie active : j’ai passé un BEP électricité au lycée professionnel de la montagne de Saint-Michel-de-Maurienne, puis j’ai travaillé sur de nombreux chantiers qui m’ont permis de financer tous mes voyages dès l’âge de 18 ans. Il faut dire qu’étant gamin, mon père m’avait offert le fameux livre de Julien Derozier, un guide de pêche très connu dans la profession et qui a voyagé partout dans le monde1… En lisant tous ses incroyables récits d’aventures – il a été dans une soixantaine de pays –, j’ai moi aussi eu envie d’aller découvrir le monde par le biais de la canne à pêche. Mon engouement pour ce sport a grandi dans les torrents et lacs de notre région savoyarde, dont les vallées tant réputées pour le ski sont aussi exceptionnelles pour les pêcheurs de truites grâce aux retenues hydro-électriques et aux grands lacs de montagne. Ces dernières années, j’ai fait beaucoup de bivouacs en montagne, en marchant deux ou trois jours, pour pêcher de très belles truites, de véritables trophées qu’il n’est toutefois pas rare d’attraper si l’on s’en donne les moyens. Les nouvelles techniques de pêche n’ont plus rien à voir avec le ver au bout de l’hameçon que l’on jette à l’eau avant de s’asseoir toute la journée en attendant que ça morde ! Sans trop en dire (pêcheur avant tout !), comme dans tout sport, le matériel a beaucoup évolué au niveau des leurres, des cannes, des lignes… On va chercher des conditions de pêche très tôt le matin ou très tard le soir, en marchant, en observant. Le nouveau matériel rend la pêche très ludique et très fun. Il s’agit vraiment d’une pêche sportive et je pense que dans notre milieu, pas mal de moniteurs de ski doivent pêcher, comme beaucoup sont chasseurs…

 

 

La pêche est un art de vie pratiqué par tous les peuples du monde ou presque. Pour moi, la pêche à la ligne est un formidable moyen de rencontres et d’échanges, qui vous mène loin des sentiers battus et au plus proche des habitants locaux. Quand on est pêcheur, on n’a aucun problème pour s’intégrer dans des endroits où les gens sont tous pêcheurs, il suffit juste d’apprendre à parler la langue. Au cours de mes voyages, j’ai souvant vécu chez l’habitant, en pêchant du poisson qui nourissait la famille et payait un peu le logement… Ce sont des opportunités de vie et de rencontres avec des amis qui m’ont permis de voyager sans passer par des agences. J’ai ainsi passé presque un an au sud de Madagascar, bivouaqué sur les côtes du Sahara occidental, et à partir du moins de juin, je vais aller m’établir pour six mois au Cap Vert afin d’y vivre ma première expérience en tant que guide de pêche professionnel. J’ai découvert cette destination l’année dernière, alors que je devais partir au Gabon et que je n’avais pas obtenu mon visa en raison de la situation politique là-bas. Je suis donc allé au Cap Vert et y suis retourné deux fois depuis, en bivouaquant plus ou moins loin des villages.

 

Je suis autant passionné de ski que de pêche. L’avantage du Cap Vert, qui se trouve dans l’hémisphère nord, est que je peux parfaitement enchaîner mes saisons d’hiver à La Toussuire et celles de pêche là-bas, de juin à novembre. Dans notre métier, le fait d’être saisonnier est une chance formidable car on est relativement libre d’organiser sa vie comme on le souhaite. C’est ce grand pêcheur, Julien Derozier, que j’ai finalement rencontré il y a deux ans et demi et avec qui je suis devenu ami – nous pêchons en Maurienne ensemble –, qui m’a poussé à entrer dans le milieu de la pêche professionnelle et m’a aiguillé sur le Cap Vert. J’ai 25 ans, je suis jeune, c’est maintenant où jamais le moment de me lancer ! J’ai un peu le trac mais je me dis que comme pour toute chose, si l’on y met du cœur et de l’envie, il en ressortira de belles aventures et beaucoup d’apprentissage.

 

 

Sur les skis, j’ai un contact très positif avec les gens, quels que soient leur âge et leur classe sociale – c’est ce que j’aime dans notre profession, ainsi que de faire découvrir la montagne. Je suis déjà familiarisé avec le public, et les métiers de moniteur de ski et guide de pêche sont un peu similaires : on travaille en milieu ouvert, l’approche par rapport à la sécurité et à la gestion d’un groupe est sensiblement la même, on travaille avec des personnes de tous niveaux… Il y a énormément de gens que j’ai eus en cours de ski qui pratiquent aussi la pêche, ce qui débouche sur des échanges formidables et passionnés. J’ai rencontré ainsi beaucoup de personnes cet hiver qui m’ont aidé à développer mon activité de guide de pêche. Une donnée, et pas des moindres, diffère néanmoins : pour la pêche, il y a une obligation de résultat ; on reçoit des gens qui voyagent juste une semaine par an, payent très cher – une journée de pêche au gros coûte entre 1000 et 1500 euros – et sont par conséquent assez exigeants… A la montagne, s’il fait beau, qu’il y a de la neige et qu’on a une bonne approche, on arrive à faire passer du plaisir à tout le monde. A la pêche, c’est différent, le poisson n’est pas commandable ! Mais bon, on arrive toujours à transmettre sa passion, le décor est très beau, ajoutez l’ambiance locale, quelques grandes histoires halieutiques… et tout peut arriver jusqu’au dernier moment, comme en témoigne l’un de mes plus beaux souvenirs de pêche, lorsque j’ai capturé un grand espadon, un poisson longtemps rêvé et longtemps cherché. C’était au sud de Madagascar : un ami qui pêche beaucoup avait attrapé son premier espadon là-bas un 2 décembre. L’année suivante, j’y suis retourné avec lui. Nous avons énormément pêché, pendant un mois et demi, des heures et des heures, sans arriver à trouver cet espadon. En rentrant au village, alors que nous n’y croyions plus car nous étions sortis des zones qu’affectionne ce poisson, c’est à ce moment que j’ai attrapé mon espadon, dans dix mètres d’eau ! C’était le 2 décembre de l’année suivante, un an jour pour jour après la prise de mon ami ! L’année dernière en compagnie d’un autre ami, j’ai aussi pêché une truite exceptionnelle en Maurienne – on pêche la truite comme on pêche le thon jaune à Madagascar ou au Cap Vert, tout est si merveilleux… C’était une truite énorme, j’ai combattu, combattu, elle a cassé le fil, incroyable sensation, mon cœur c’est arrêté… C’était mon plus beau poisson de l’année 2010, et peut-être de toute ma vie !

 

 

A partir de mi-septembre, je vais donc travailler comme guide de pêche au Cap Vert pour une agence spécialisée dans la pêche sportive dans le monde entier2. Nous allons proposer des séjours de douze jours, très typiques et extrêmes, dans un endroit fabuleux et très prometteur, facile d’accès et encore peu prisé. Nous serons basés dans un petit village retiré au pied d’une grande montagne, en plein Atlantique, sur l’île de Santo-Antao. Nous disposerons d’une embarcation locale avec moteur très bien adaptée à ce spot de pêche. Nous n’avons pas besoin de gros bateaux, plus gourmands en essence. Les poissons emblématiques du Cap Vert, pour la pêche commerciale, sont le thon jaune et l’espadon. Nous, nous attraperons tous types de poissons avec tous types de techniques. Julien Derozier m’épaule et me guide un peu dans ce projet. Il m’aura fait rêver jusqu'à présent et aujourd’hui, ma voie croise la sienne et ma vie prend un nouveau tournant. Tout cela est très exaltant ! »

 

 

1 Plus d’infos sur www.julien-derozier.com

 

2 Mémoire d’un fleuve, agence basée à Paris (memoiredunfleuve.com). Pour tous renseignements, vous pouvez aussi envoyer un mail à dinard.paul-loup@laposte.net.

 

 


 

encart marocLa 2e vie des tenues ESF de La Toussuire

 

 

Grâce à une initiative de Paul-Loup soutenue par l’ESF de La Toussuire, trente kilos d’anciennes tenues ESF ont équipé les pêcheurs du grand sud marocain : « J’ai beaucoup d’amis pêcheurs au Maroc, qui ont une vie rude car les températures sont très froides la nuit dans le désert. Ma tenue de pêche là-bas, c’est un pantalon de ski et trois sous-vêtements thermiques ! La dernière fois que je suis allé au Maroc, il y a deux ans, j’ai fait le voyage en voiture, ce qui m’a permis de transporter trente kilos d’anciennes tenues collectées par mon ESF. J’ai des amis qui sont retournés faire du kite surf à Dakhla un an plus tard, et ils ont vu les pêcheurs avec ces tenues, qui sont vraiment un équipement très utile pour eux. »