Vincent Rolland « Pour être entendu, il faut être plusieurs »
Numéro 115Député de la Savoie et coprésident de Savoie Mont-Blanc Tourisme, Vincent Rolland porte la voix de la montagne à l’Assemblée nationale. Et même s’il n’enseigne plus, il reste moniteur dans l’âme, attaché aux valeurs de l’ESF.
Quelles problématiques souhaitez-vous développer à l’Assemblée nationale concernant le tourisme d'hiver en montagne ?
L’un des enjeux majeurs du tourisme en montagne concerne l’immobilier, et plus précisément les lits froids qui limitent la fréquentation touristique des stations. Nous savons en même temps que nous ne construirons plus comme avant. Nous, élus, collectivités, sociétés de remontées mécaniques, constatons que nous sommes à la fin d’un modèle de développement touristique. Chaque année, des milliers de lits sortent du contingent locatif, soit parce que les propriétaires ne louent plus, soit parce qu’ils ne sont plus en état d’être proposés à location. Sans parler des tours opérateurs qui peuvent trouver de meilleures opportunités ailleurs. Certaines stations se retrouvent ainsi avec près de deux tiers des lits hors du circuit marchand, et tout un pan de l’activité économique figé ou mal évalué, des sociétés de remontées mécaniques qui peinent à attirer des skieurs, des commerces fragilisés. Cette situation n’est plus tenable à terme. C’est pourquoi nous devons impérativement trouver des solutions favorisant la remise en marché de ces hébergements.
Avez-vous des solutions à préconiser ?
Plusieurs dispositifs existent déjà et fonctionnent de manière satisfaisante, mais l’action reste locale. Je voudrais en faire un objectif national en incitant l’État à créer une Agence nationale de la réhabilitation de l’immobilier de loisirs. L’enjeu n’est pas seulement montagnard, il concerne l’activité touristique en France. Une telle structure devra proposer les dispositifs incitatifs nécessaires, fiscaux, bancaires, etc. J’ai demandé un entretien au Premier Ministre dans cette perspective.
Les demandes et les préoccupations des professionnels du tourisme de la montagne sont-elles entendues au plan national ?
Pour être entendu, il faut être plusieurs et ce, quel que soit le gouvernement en place. Dès lors que les parties prenantes du milieu montagnard se mettent d’accord pour mener une action d’envergure au plan national, parce qu’il en va de la sauvegarde d’une activité économique essentielle au pays, celle-ci a de vraies chances d’aboutir. C’est ce qui s’est passé par exemple avec le calendrier des vacances de Pâques. L’augmentation des chiffres de fréquentation est nette sur cette période et atteste de la pertinence de la démarche.
Êtes-vous confiant quant au développement des stations françaises ? Sur quels atouts doivent-elles s'appuyer ?
L’avenir de nos stations n’est plus au développement proprement dit mais à la réhabilitation, à l’embellissement et à la recherche du moindre impact environnemental. Nous sommes à la fin d’un modèle économique lancé dans les années 60 avec le plan neige, qui a trouvé son apogée à la fin des années 90. Un nouveau modèle doit émerger pour permettre de retrouver de la créativité en s’appuyant sur l’existant. Ce sont des perspectives très intéressantes, beaucoup plus orientées vers le durable et qui pourront générer de nouvelles initiatives entrepreneuriales. À côté, les stations françaises ont des atouts qui les placent au top niveau mondial, à commencer par l’étendue des domaines skiables, la modernité des remontées mécaniques, l’accessibilité des stations, leur nombre et leur diversité, la montée en gamme de l’hébergement, l’offre de services améliorée d’une saison à l’autre… La bagarre est continuelle pour se maintenir au sommet.
Comment s'y prendre pour se démarquer de la concurrence internationale ?
La concurrence est forte. La France est d’ailleurs descendue à la troisième place au classement mondial des destinations sports d’hiver avec 51,1 millions de journées skieurs, devancée pour la première fois par l’Autriche qui progresse de 4 % avec 52,1 millions et les États-Unis, n° 1 avec 54,7 millions. En cause ? La météo avec un faible enneigement d’après Domaines skiables de France. L’Autriche a connu les mêmes difficultés mais a mieux résisté grâce à une couverture en neige de culture deux fois plus importante. Ce qui confirme la nécessité de continuer à équiper nos domaines skiables selon le plan mis en œuvre par la région Auvergne Rhône-Alpes, orchestré par Gilles Chabert, notre Monsieur Montagne.
Craignez-vous les effets du Brexit sur la fréquentation des stations ?
Les effets du futur Brexit programmé fin 2019-2020 ne sont pas encore sensibles en stations semble-t-il. À l’international, le Royaume-Uni reste le premier marché émetteur, représentant 42 % des clientèles étrangères l’hiver en Savoie Mont-Blanc. Ces dernières représentant elles-mêmes 33 % de la fréquentation globale. Nous suivons de près les évolutions. Cela étant, les spécialistes relèvent que c’est plutôt le taux de change devenu défavorable aux Britanniques qui pourrait avoir un impact cet hiver sur les réservations…
Vous êtes également coprésident de Savoie Mont-Blanc Tourisme. Quelles sont les perspectives touristiques pour ce territoire ?
Savoie Mont-Blanc représente environ 65 millions de nuitées touristiques annuelles, dont 61 % réalisées sur l’hiver. Ce qui place cette destination touristique sur le podium tricolore aux côtés de Paris et de la Côte d’Azur. Pour autant, si les sports d’hiver, avec nos cent douze stations, tirent l’économie touristique, certains aspects de l’activité demandent vigilance et actions fortes : le rétrécissement de la saison nous préoccupe toujours et nous cherchons à relancer la période des fêtes de fin d’année avec France Montagnes. L’autre objectif, ce sont les clientèles étrangères ; les marges de progression se trouvent là désormais. L’été en montagne nous préoccupe également : nous avons perdu environ 3 millions de nuitées touristiques en quinze ans, et la moitié de la fréquentation se concentre en août. Nous devons absolument réenchanter l’été à la montagne, en montrant tout son potentiel en termes d’activités et de patrimoine, mais aussi en continuant de proposer des événements d’envergure comme le Tour de France qui permet une exposition médiatique maximum en début de saison, en allant chercher des clientèles sur les ailes de saison (comités d’entreprises, groupes, seniors…). Nous ne ménageons pas nos efforts !
Dans la lignée des ambassadeurs Savoie Mont-Blanc, est envisagé le développement d'un programme spécifique « moniteur ambassadeur ESF Savoie Mont-Blanc ». Que vous inspire cette initiative ?
Elle m’a véritablement enthousiasmé et elle sera présentée aux directeurs en début d’hiver. Y a-t-il des ambassadeurs plus indiqués que les moniteurs ESF pour faire connaître et faire aimer un territoire ? C’est ce qui est à l’origine de ce projet entre le SNMSF et Savoie Mont-Blanc Tourisme. Il s’agit d’accueil, de service, d’écoute, de découverte… Car que désirons-nous tous ? Participer au rayonnement du territoire à travers nos activités en nous appuyant sur la force d’un réseau. Celui des ambassadeurs Savoie Mont-Blanc compte environ 2 500 personnes actuellement. Avec des moniteurs qui vont arriver en force, il va virer au rouge et prendre la couleur de la passion !
Quel regard portez-vous sur l'ESF ?
Les moniteurs de ski font preuve de professionnalisme et d’amour du pull rouge. Si l’on veut avancer dans ce monde très perturbé et très individualiste, se retrouver autour de symboles est important. C’est en étant unis et soudés qu’on peut se faire entendre. Le SNMSF et son président en sont de parfaits exemples et les moniteurs sont des acteurs déterminants du monde du ski.
Que représente le ski pour vous aujourd’hui ?
C’est ma vie ! Ma femme est monitrice à l’ESF, mes enfants sont compétiteurs ou en formation pour devenir moniteurs. Le ski est notre ADN. Je skie dans plusieurs stations, ce qui me permet de comparer les domaines et les offres pour mieux en parler.
En bref
Vincent Rolland
• 47 ans, né à Moûtiers.
• Député de la 2e circonscription de la Savoie (membre de la commission des affaires économiques).
• Coprésident de Savoie Mont-Blanc Tourisme depuis 2006.
• Président de l’Ecole nationale des sports de montagne d 2011 à 2014.
• BE ski alpin obtenu en 1996 : « Je suis moniteur et je le resterai toujours, même si je n’exerce plus. J’ai surtout enseigné pendant les vacances scolaires, plus jeune, à l’ESF de Pralognan-la-Vanoise. »
Propos recueillis par Hugo Richermoz
Photo DR
Illustration Anne-Lise Schaeffer